Texte d'exposition- Solenne Livolsi

Maeva Rosset

« Ouais, ouais, ouais, non, non, non »

Le titre de l’intervention de Maeva Rosset dans la chapelle de Routgès est une référence à une performance de l’artiste allemand Joseph Beuys (1921 – 1986) : « Ja Ja Ja Ja Ja, Nee Nee Nee Nee Nee ». Cette phrase est répétée par l’artiste inlassablement avec des variations de voix et de rythmes. La pièce originale est une satire d’une conversation de vieilles femmes qui échangent potins et rumeurs. L’entrée de la chapelle de Routgès s’effectue par un porche rustique, lequel servait certainement de caquetoire (espace couvert, souvent en forme d'auvent, situé devant l'entrée de nombreuses églises. Il tire son nom du verbe « caqueter » (bavarder à tort et à travers), car les paroissiens pouvaient s'y abriter après les offices pour échanger les nouvelles.).

À partir de 1964, J. Beuys inclut dans ses installations des matériaux organiques qui lui tiennent à cœur depuis son accident d’avion en Crimée (il était pilote de la Luftwaffe sur le front russe pendant la Seconde Guerre mondiale) : le feutre, qui isole du froid, la graisse, symbole de chaleur et d’énergie, le miel et la cire d’abeille, la terre, le beurre, la poussière, le bois… Ces matériaux montrent la réutilisation par J. Beuys des déchets, non pas pour les magnifier, mais pour les mettre au service de l’art en explorant leur matérialité. Les travaux de Beuys ont donc de nombreuses clefs d’entrée : ils participent à la fois de ce qu’on appelle une œuvre d’art totale et de formes artistiques basées sur la sensation. L’œuvre de Joseph Beuys a une vocation thérapeutique qui vise à guérir la société de ses maux, en lien avec les études de médecine qu’il suivait avant la Seconde Guerre mondiale.

Maeva Rosset intègre plusieurs de ces composantes dans ses propres réalisations, notamment les notions de « low-tech » (antonyme de « high-tech », ensemble de techniques simples, pratiques, économiques et populaires) et de « jugaad » (mot familier en hindi signifiant « détournement créatif »), lesquels sont des concepts modernes qui ont du sens en termes de récupération de matériaux. 

Dans la chapelle, l’artiste a déployé son univers olfactif habituel, en y ajoutant un travail sur la texture des matériaux choisis. Par exemple, la longue corde en jute tressée (au toucher agréable, telle une main-courante) de 60 mètres (la dimension extérieure de l’édifice) vient s’enrouler sur les poutres de la charpente avant de redescendre le long de la tribune, enduite de baume respiratoire. En usage médical, ce baume s’administre sur le thorax ou en inhalation. Il est composé d’huile essentielle bio de thym thymol, menthe poivrée, ravintsara, eucalyptus globulus, tea tree, romarin, gaulthérie, pin sylvestre, lavande, girofle, niaouli, cajeput. Cette odeur forte et entêtante n’est pas sans rappeler l’usage de l’encens dans les célébrations religieuses, associé aux différentes formes de la présence de Dieu. Son usage sert à manifester la foi en cette présence divine. La corde, qui devient sculpture avec des nœuds ornementaux, est reliée à la corde de la chapelle laquelle servait à faire sonner la cloche. Le rythme de la journée était établi par la cloche de la chapelle, tout comme celui des saisons et des récoltes. Le parfum diffusé par le baume sera lui aussi soumis aux températures et à l’humidité…

L’artiste a également suspendu par-dessus la balustrade de la tribune des tissus en coton (utilisés pour fabriquer les toiles des peintres) enduits de terre des environs de la chapelle. Par un système de nœuds lors de la coloration, proche de celui utilisé pour réaliser du batik (technique d’impression des étoffes réalisée initialement en Indonésie), un motif apparait. Le froissement du tissu et sa coloration avec des matériaux naturels leur apportent une matérialité forte et une présence douce. 

 

Maeva Rosset a donc fait le choix de faire dialoguer ces deux espaces (le dedans et le dehors) afin de d’insuffler à nouveau de la vie dans la chapelle. La corde joue le rôle de diffuseur discret mais présent en rendant existant une odeur qui, par nature, est fugace. L’artiste n’a pas de velléité à proposer une œuvre monumentale, les matériaux choisis peuvent confondre la corde et les tissus avec le décor rustique de la chapelle, néanmoins, l’odeur entoure et accompagne les visiteurs – elle occupe donc tout le volume de la pièce mais de façon invisible. L’intervention minimaliste, avec des formes proches de l’artisanat, est revendiquée par l’artiste dans une démarche respectueuse, afin que la quiétude de ce lieu de culte en soit à peine troublée.